« Oui, je préfère être pauvre et vivre à la rue plutôt que d'accepter leur argent... Leur argent sale. Les stars, elles ne viennent plus à mes côtés, maintenant, parce que je suis plus une adolescente, et ça marche plus. Quand j'étais mineure, naïve, ça allait, mais maintenant que je suis adulte, elles ont peur ! Elles se disent, comment elle va réagir ? Alors non, elles viennent plus me voir... Quand je pense que ma fille a été harcelée, c'est que des faux-culs au gouvernement, que des faux-culs... Et les stars, jamais elles chanteront ce qu'elles ont fait à ma fille, jamais ! Elles préfèrent chanteur leurs conneries... »

Mercredi pluvieux. Assise en tailleur sur la scène du kiosque à musique, elle poursuit un étrange monologue. L'autre SDF, debout à  ses côtés, ne dit mot. Ecoute-t-il ?
À quelques mètres de là, quatre lycéens ; trois filles et le petit ami de l'une d'entre elles. Ils se sont abrités là pour dévorer leur repas de midi.

« Ils m'ont bien étudiée, à l'hôpital, et maintenant ? Ils n'ont qu'à continuer à m'étudier, dans la rue ! Leur argent, j'en ai rien à faire, je préfère être pauvre, j'oublierai pas ce qui lui est arrivé, à ma fille... C'est ça la France, c'est ça le gouvernement, Chirac c'est qu'un connard. L'autre jour j'ai fait un tour à la plage, qu'est-ce que je vois ? Ils font tourner leurs hélicoptères au-dessus de ma tête... C'est ça, allez-y, faites voler vos avions, là ! »

Mercredi pluvieux. Tous les trésors de la vagabonde sont à ses pieds : un sac et une bouteille de vin. À l'autre bout de la scène désaffectée, au-delà du groupe de lycéens, un jeune homme et une jeune gothique jouent avec leur chien.

« C'est ça, les Français... J'te dis, avec ton argent tu payes ton loyer, tu paies pas leur conneries. Les stars, les politiques... Des faux-culs. Ils ont harcelé ma fille ! Non, après ils me donnent de l'argent, mais j'en veux pas, moi, j'oublierai pas... Je préfère être pauvre, tu vois. Les stars, elles viennent plus me voir, elles ont peur. Oh ! Elles n'ont pas peur de moi, ça non ! Mais elles ont peur de ma réaction ! Il paraît que je suis impulsive, elles se disent, non, ça va pas marcher. Mais elles n'ont pas peur de moi ! Elles s'demandent juste, qu'est-ce qu'elle va dire ? »

L'homme au chien s'est dressé.
« Ta geule ! Aboie-t-il.
- Oh ! vous, vous faites bien toujours du bruit, avec votre chien... »

L'homme s'est levé. Les lycéens également... prêts à déguerpir.
« Regarde, tout le monde s'en va, parce que tu fais chier... » poursuit l'homme irrité.

Les lycéens s'en vont.

Un quart d'heure plus tard, une des jeunes filles, ayant quitté ses amis, se trouvera aux abords du kiosque : la police sera présente.

Oubliés du sort, qui êtes-vous ? Mourrez-vous ainsi ?



[Il manque quelque chose, mais quoi ?]

[Image : http://atos.ifrance.com/gallerie/Albums/Album1/Rue_pose_pluie_3_n_b.htm]