Samedi 3 décembre 2011 à 2:40

Je n'ai volontairement pas renouvelé le premium. Payer pour avoir un joli fond sur un blog que je n'entretiens quasiment pas, c'était un peu du gaspillage...

En revanche, j'ai fait mon coming-out littéraire. Si je n'ai donné l'adresse de ce blog à aucune personne que je connaissais en chair et en os, craignant un peu leur regard, j'ai décidé qu'il fallait s'assumer un peu dans la vie, et que quiconque se prend (à tort ou à raison) pour un(e) artiste doit savoir affronter un public, même composé en partie de proches. Et que le fait d'avoir des "obligations" envers des lecteurs (oui, ils existent) me pousserait à m'auto-discipliner, à travailler davantage. J'ai donc créé un nouveau blog, dont le principe est différent de celui-ci : alors que "Siyah çiçek" était une sorte de fourre-tout où se mêlaient poèmes, critiques et anecdotes prosaïques de la vie quotidienne, "L'insoutenable schizophrénie de l'être" est spécialement dédié à mon art (oui, je m'y crois, il faut y croire ;)). D'ailleurs, "Siyah çiçek" commence à dater (6 ans de vie !) et même si je souhaite garder tout ce que j'y ai écrit, je ne me reconnais plus vraiment dans les articles les plus anciens, écrits par une petite lycéenne de 15 ans. Il est possible qu'à l'occasion, je poste encore ici des billets qui n'auraient pas leur place sur l'autre blog.

En tout cas, voici ma nouvelle adresse... Mon Dieu, encore un risque insensé, cela va permettre de faire le lien entre deux de mes identités (Bon, ça suffit maintenant, tu réfléchis trop). Donc, je vous invite cordialement à me rejoindre sur

L'insoutenable schizophrénie de l'être

En route pour de nouvelles aventures !

Vendredi 27 mai 2011 à 20:10

Oh, je déserte vraiment ce blog. Pourtant, ma vie fut relativement mouvementée depuis mon arrivée à Paris... C'est pas grave, tout le monde s'en fout. Mais avoir un blog, c'est quand même un bon prétexte pour écrire, ce serait dommage de s'en priver. Tenez, j'offre à l'éventuel visiteur égaré la minuscule nouvelle qui m'a valu récemment le deuxième prix du concours du journal de l'INALCO. Le sujet était : « Trois minutes cinquante-deux ».

 

Ainsi soit-il


 

Prenez un flacon vide, celui-ci par exemple. Pas trop gros, le flacon.

Mettez-y quelques balbutiements, des premiers pas, des histoires du soir, une première journée d'école, des musiques entendues, des gronderies, des cajoleries, des nouveaux mots, des joies et des chagrins, des vêtements trop petits, des jeux à la campagne, des dessins maladroits, des réveillons, des soucis, des mathématiques, un malaise d'ado, des rencontres et des sourires, des disputes et des fous rires.

Ajoutez des couleurs, des sons et des formes, des voyages et découvertes, des promenades nocturnes, une bouteille de bière, des semelles usées, des lieux et des visages, des porte-monnaies vides, des sandwiches de midi ; mettez-y aussi ce qui gronde dans votre cœur, dans votre tête, ces notes qui montent et descendent et s'enlacent et vous possèdent, mettez-y de la musique enfin. Tassez bien le tout avant de refermer le flacon ; en un mot, pliez-vous en cent-vingt-huit morceaux pour être contenu dans ce volume limité, et plus digeste pour le consommateur, qu'est celui du flacon.

Vous voilà à ma place ; voilà ce qu'on attend de moi.

 

La plupart des chansons, sur le plan des paroles comme de la musique, prennent pour fil directeur une idée simple autour de laquelle sera brodé le reste du morceau : variations, fugues et fioritures donnent corps à la chanson sans jamais en effacer le motif principal. C'est ce dernier qui pénètre l'âme, qui se grave dans les mémoires, qui donne ce sentiment que la boucle est bouclée, que chaque chose est à sa place dans l'univers. Un refrain, une idée, un thème, un riff. L'efficacité de la chanson dépend de ce motif qui ne constitue qu'un minuscule fragment du monde, un minuscule fragment de votre inspiration, de votre personne. On ne peut « mettre tout son être » dans une chanson, car les vies humaines sont dépourvues de ce qui fait le charme d'une chanson : cette cohérence interne, cette admirable récurrence qui donne le sentiment que tout est lié, que tout se répond. Comment résumer en deux, trois, quatre minutes cette masse informe, ce flot continu et désordonné d'évènements et d'émotions qui nous constitue ?

Me voilà dans une situation délicate. Je dois rester enfermé ce soir pour y réfléchir, au lieu de prendre un verre avec les gens de la fac. J'en veux un peu à Marianne. Je dois écrire cette chanson avant le concert d'accord, j'aurais pu m'y prendre avant... Mais rien ne vient, et je risque de me trouver bien démuni demain soir.

« Même si c'était le cas... Est-ce si grave ? »

C'est Paul qui a parlé.

« Si tu n'as pas ta chanson demain soir, quelles peuvent en être les conséquences ? Essaie. Mais si tu dois finalement te contenter des reprises pour cette fois... Ainsi soit-il ».

À défaut des gens de la fac, Paul est là pour me tenir compagnie. Paul apparaît souvent au bon moment. Si je vais mal, ou que j'ai besoin de parler, ou que j'ai besoin de conseils de la part d'un bon musicien, il vient à moi, un sourire réconfortant sur son visage rond, et trouve toujours quelques paroles sages à me dispenser. Je ne me souviens plus depuis quand il va et vient comme ça dans ma vie, à l'improviste, mais sa présence m'est agréable bien que deux générations nous séparent, et c'est une personne que j'admire beaucoup.

S'il est là ce soir, c'est qu'il a eu vent de l'idée de Marianne. Il y a quelques semaines, à la fin d'une répétition, cette amie, chanteuse du groupe dont je suis le bassiste, a fait une remarque très juste. Nous avons joué un certain nombre de fois, avec succès, des reprises de nos artistes favoris dans des bars ; à présent, si nous voulons donner au groupe une identité, nous devons oser nos propres compositions. Jusque là, je suis d'accord. Mais elle a proposé que, pour commencer, pour nous présenter au public en quelque sorte, nous écrivions chacun notre chanson. Une chanson qui nous définirait.

Être défini par une chanson, quelle bêtise...

« Ainsi soit-il, répète Paul. C'est ce qu'aurait dit ma mère ».

Un silence. Je suis plus habitué à me confier à Paul qu'à l'entendre parler.

« J'avais cinq ans, poursuit-il. J'écoutais mon père jouer du piano, quand sa silhouette a commencé à s'affaisser sur elle-même. En m'approchant, j'ai constaté que sa peau devenait visqueuse et translucide au contact des touches : le mal se propageait du bout de ses doigts au reste de son corps. J'ai bondi en arrière, juste à temps : mon père, complètement liquide à présent, venait de tomber au sol dans une grande éclaboussure... Mon regard s'est tourné vers le piano, absorbé par les touches blanches et noires qui, soudain, ont occupé tout mon champ de vision et n'étaient plus des touches, mais des dents blanches, puis jaunes, cariées de noir. J'ai tourné la tête à droite, à gauche, le monde n'était plus que dents. J'ai voulu courir. Je suis tombé. J'ai ouvert les yeux : j'étais dans ma chambre et il faisait noir, trop noir ; pris d'une peur panique, j'ai voulu en sortir. J'ai cherché à tâtons la porte qui s'est soudain ouverte, laissant entrer la lumière, ma mère, et un grand soulagement. Elle se tenait là, devant moi, belle et apaisante, apparition presque divine pour l'enfant terrifié que j'étais... Elle m'a pris dans ses bras et m'a parlé tout bas, me réconfortant, me persuadant que tout cela n'était rien. Certaines personnes possèdent une aura de légèreté, de sérénité ; cette faculté de vous donner l'impression que, tant qu'elles sont là, rien n'est grave ni douloureux ; ma mère avait, au moins sur moi, cet effet apaisant. J'ai demandé à dormir avec mes parents : Ainsi soit-il, m'a-t-elle répondu ».

Nous voilà apparemment bien loin de Marianne et de la chanson que je dois écrire, mais je n'interromps pas Paul.

« Elle m'a souvent secouru ainsi, même lorsque je n'étais plus un enfant. Sur son lit de mort, elle était toujours la même : Je vais vous quitter... C'est notre sort à tous, ainsi soit-il. Je n'avais que quatorze ans quand l'être le plus cher à mes yeux est sorti de ma vie.

Oui, elle est sortie de ma vie, tout comme Eliza quelques années plus tard. Je me morfondais un soir, seul, le cœur brisé, lorsqu'une voix douce m'a sorti de mes rêveries morbides. Si elle est partie, elle est partie. Si elle doit revenir, elle reviendra... Ainsi soit-il. Ta vie ne s'arrête pas ici.

Devant moi se tenait ma mère, identique à ce qu'elle était le soir où j'ai failli être dévoré par un piano à dents. Maman, comment est-il possible que... ?

Sache, Paul, qu'une personne n'est jamais perdue pour toujours. On a beau être séparé, on a toujours une chance de se revoir. »

Silencieux jusqu'ici, je coupe la parole à mon vieil ami :

« Ça t'est arrivé souvent, ce genre d'apparitions ?

Plusieurs fois. Dans ces moments-là, elle était fidèle à mon souvenir. Lorsque j'allais mal, elle venait à moi et trouvait toujours quelques paroles sages à me dispenser. Une nuit, alors que le groupe travaillait sur son dernier album... Une période difficile, tu sais ; nous avons dissous le groupe peu de temps après. Une nuit fiévreuse comme celle du piano – j'étais sorti plus tôt dans la soirée dans l'espoir de me détendre, mais même le temps était maussade – une douce lumière s'est mise à briller à mon chevet. Ma mère me veillait, et je savais que cette lumière – émanait-elle d'une lampe ou de sa personne ? – brillerait jusqu'au matin. J'ai fini par m'endormir le cœur serein... Je crois m'être réveillé au son d'une musique, mais peut-être était-ce mon imagination. Je crois avoir déclaré à voix haute que cette mélodie me plaisait et que je m'en servirais bien pour ma prochaine chanson. Je crois avoir entendu une voix douce me répondre : Ainsi soit-il ».

 

 

Voilà que je m'éveille à mon tour au son d'une mélodie. Je ne sais pas à quel moment je me suis endormi, la tête sur mes bras croisés posés sur la table. Je ne sais plus à quel moment j'ai allumé la musique. Paul n'est plus là, disparu aussi discrètement qu'il était venu, comme à son habitude. La chanson qui passe est la sienne, celle qu'il a écrite au lendemain de cette nuit maussade, et soudain je comprends ce qu'il a voulu me dire. Si l'on ne peut se plier en cent-vingt-huit pour entrer dans un flacon sonore de deux, trois, quatre minutes, on peut extraire, de l'enchevêtrement qui nous constitue, un seul fil de vie, un fil qui n'est qu'un aspect de notre personne mais qui traverse notre existence en entier, un motif dont l'admirable récurrence donne à notre vie l'aspect d'une chanson qui peut être jouée en trois minutes cinquante-deux :


When I find myself in times of trouble
Mother Mary comes to me
Speaking words of wisdom, let it be.

And in my hour of darkness
She is standing right in front of me
Speaking words of wisdom, let it be.

Let it be, let it be, let it be, let it be,
Whisper words of wisdom, let it be !

And when the broken hearted people

Living in the world agree,

There will be an answer, let it be.

For though they may be parted there is
Still a chance that they will see
There will be an answer, let it be.

Let it be, let it be, let it be, let it be
Yeah there will be an answer, let it be !

Let it be, let it be, let it be, let it be,
Whisper words of wisdom, let it be !

Let it be, let it be, let it be, let it be,
Whisper words of wisdom, let it be !

And when the night is cloudy,
There is still a light that shines on me,
Shine on until tomorrow, let it be.

I wake up to the sound of music
Mother Mary comes to me
Speaking words of wisdom, let it be.

Let it be, let it be, let it be, let it be,
Yeah there will be an answer, let it be !

Let it be, let it be, let it be, let it be,
Whisper words of wisdom, let it be !



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Copyright : Rob Gonsalves

 




(Note : Il existe plusieurs enregistrements de Let It Be, mais la version la plus connue, présente sur l'album bleu des Beatles, dure bien trois minutes cinquante-deux.)

Mercredi 29 décembre 2010 à 20:04

http://siyah-cicek.cowblog.fr/images/KeithRichards.jpg

Les personnes célèbres sont souvent l'objet de toutes sortes de fantasmes. Qui n'a jamais imaginé sa rencontre avec l'une d'elles ? Par « fantasme », je n'entends pas forcément fantasme érotique, bien entendu. Il ne me viendrait jamais à l'idée, par exemple, d'imaginer une scène érotique avec un homme de l'âge de Keith Richards (et assez abîmé qui plus est, mais j'ai mis une photo gentille, ça me ferait mal au cœur sinon). Pourtant, il m'arrive de glisser sans m'en rendre compte de la réalité vers un monde imaginaire, dans lequel je sympathiserais avec cette légende du rock. Il serait pour moi une sorte de vieux copain, à mi-chemin entre un ami et un grand-père. Ce serait une de ces amitiés qui traverse les générations, dans lesquelles le « vieux » a une longue expérience à faire partager et serait de bon conseil mais jamais psychorigide, car il en fait de belles lui-même autrefois et, d'ailleurs, est toujours un peu jeune dans sa tête. Un vieux avec qui on pourrait boire un verre et faire la fête. Ce serait mon papi rock'n'roll (j'ai justement une place de grand-père vacante depuis quelques temps, tiens).

Bien sûr, c'est idiot. Parfois, je l'avoue, j'ai un peu honte de ces enfantillages. Je suis bien consciente que les personnalités publiques telles qu'on se les représente sont des images, des chimères, des personnages de fiction, et non les individus réels que les gens de leur entourage voient au quotidien. Je suis bien consciente que ces gens, des gens comme les autres, ne valent pas forcément mieux que nos proches, souvent anonymes mais dotés eux aussi d'une identité intéressante. Je suis bien consciente que même si je rencontrais Keith Richards (ce qui a certes peu de chances d'arriver), je ne saurais sans doute pas quoi lui dire, et lui non plus, et il ne se passerait rien. Ou bien je l'apercevrais sans lui adresser la parole. Ou pire encore, je ne l'apprécierais pas.

Cela me rappelle Allons réveiller le soleil, de José Mauro de Vasconcelos. Le narrateur, enfant, est passionné de cinéma et s'est construit un arbre généalogique composé de ses acteurs préférés. Johnny Weissmuller (qui a joué Tarzan) est ainsi l'un de ses oncles. Maurice Chevalier, son père de cœur, vient lui rendre visite tous les soirs et l'appelle « Monptit ». Lorsque le narrateur devient adulte, Maurice lui dit adieu (la différence entre José et moi, c'est que moi je suis censée être déjà adulte...). Des années plus tard, le narrateur parvient à aborder Maurice Chevalier après un concert. Il lui serre la main en lui disant : « Bonsoir, Monsieur Chevalier ». Bien entendu, « Monsieur Chevalier » ne le reconnaît pas. Et comment le pourrait-il ? Le Maurice de ce soir-là n'avait rien de commun avec celui qui rendait visite au petit José et lui donnait de petits noms.

S'imaginer des amitiés (ou plus encore) avec de lointaines célébrités, c'est comme s'imaginer dans un pays, une époque, une position sociale qui n'est pas la sienne, c'est comme se transporter dans l'action d'un livre ou d'un film. Lorsque j'avais dix ans, « j'attendais » bien ma lettre de Poudlard (sans y croire réellement, hein, il y a des limites). Je me suis déjà imaginée ethnologue dans de lointaines contrées, musicienne, écrivain, poète, journaliste, comédienne, résistante sous l'occupation (banal) ; j'ai inventé de nombreux personnages dans des mondes plus ou moins réalistes, présents, passés, futurs, des rois, des pauvres, des sorciers, des voyants, des djinns, des esprits, des tribus qui se déplacent dans des effigies géantes de leur animal totem, des orphelins, des voleurs, des Valkyries, des dieux grecs, des démons, des avatars d'Ulysse (j'ai une certaine affection pour l'histoire du retour d'Ulysse : quelqu'un que tout le monde connaît mais que personne ne reconnaît, que certains attendent et d'autres n'attendent plus, qui revient incognito, et soudain, coup de théâtre ! « C'est lui ». Classe, non ?). Je n'ai presque rien écrit de toutes ces choses et les ai souvent laissées disparaître au fin fond des brumes de mon esprit. J'ai déjà imaginé que je rencontrais Renan Luce dans une crêperie en Bretagne ou Johnny Depp de passage à Montpellier (puisque, paraît-il, il a une résidence dans la région, à Saint-Gély-du-Fesc). Oui, c'est un peu ridicule ; parfois, je l'avoue, j'ai un peu honte de ces enfantillages.

Mais enfin, si l'on évite de vivre uniquement dans ces chimères, si l'on est plus terre-à-terre lorsque la situation l'exige vraiment, si l'on évite la fin de Mme Bovary (paix à son âme), pourquoi ne pas conserver ces ouvertures vers des horizons multiples, des perspectives folles et infinies dont certaines pourront peut-être même se réaliser ? Je ne parle pas du fait de rencontrer des djinns, mais il m'arrive aussi d'avoir des rêves plus réalistes : partir à l'étranger, participer à des projets intéressants, rencontrer des gens, parler des langues. Nos rêves semblent parfois stupides, mais entretiennent en nous une soif de vivre qui nous pousse en avant.

Parfois, je l'avoue, j'ai un peu honte de ces enfantillages. Mais pas très longtemps.

 

[C'est amusant : j'ai commencé cet article en pensant à Keith Richards, mais ma pensée a pris un chemin un peu différent (décidément, mes divagations ont leur volonté propre) et seul le premier paragraphe lui est vraiment consacré.]


Dimanche 19 septembre 2010 à 20:27

Je me suis promenée hier dans la rue Mouffetard et dans la rue Broca. Ces noms ne vous évoquent-ils pas quelque chose ? Mais si ! Une sorcière dans un placard à balais, une grenouille à cheveux, des chaussures amoureuses, un prince et une sirène... Non ? Si vous ne voyez toujours pas, c'est que votre enfance n'a pas été bercée par les contes de Pierre Gripari : Les contes de la rue Broca, La sorcière de la rue Mouffetard ou encore Les contes de la Folie-Méricourt (cette rue-là, je ne l'ai pas visitée).

Ces rues sont en fait assez ordinaires. On trouve plus de commerces et de restaurants que d'habitations dans la longue rue Mouffetard, mais elle n'est pas désagréable. La rue Broca, juste à côté, est plutôt terne. Non, pas de sorcière, pas de grenouille à cheveux, pas de géant aux chaussettes rouges, pas un petit dessin en guise de clin d'œil aux contes de Gripari. Juste un chat noir et blanc qui me regardait fixement, assis derrière une fenêtre, et qui semblait en savoir long pour un chat ordinaire. Peut-être était-ce le chat de Bachir, celui qui parlait aux poissons ? Il doit être drôlement vieux à présent, et d'ailleurs, à bien y réfléchir, je crois que c'était une souris et non un chat qui traduisait les conversations des poissons rouges dans « La sorcière du placard à balais » (il faudra que je révise mes classiques...). Tant pis... Je revenais sur mes pas lorsque soudain, ô surprise ! Je me trouvai nez à nez avec ceci :

http://siyah-cicek.cowblog.fr/images/DSC00006.jpg

Vous vous demandez sans doute ce qu'il y a là d'extraordinaire ? Approchons-nous un peu :

 http://siyah-cicek.cowblog.fr/images/DSC00007.jpg

Hourrah ! La magie habite encore la rue Broca !

Samedi 18 septembre 2010 à 14:58

Je ne dis plus grand-chose. J'aurais pu parler de la fin laborieuse de mon année de khâgne. D'une longue attente des notes du concours en vue de monter un dossier d'équivalences à la Sorbonne. De ma recherche d'appartements à Paris au mois de juillet : il m'aura fallu un peu plus d'une semaine pour trouver. De ma réception tardive des notes, moins terribles que je ne l'aurais cru. De ma nouvelle activité au sein d'une association qui organise des festivals et concerts de rock. De la mort atroce de Ludmilla, connaissance un peu perdue de vue mais avec qui j'avais passé beaucoup de temps à une époque, percée de huit coups de couteau (la police hésite entre un couteau et un tournevis)... Je fais état de tout cela froidement, car, lorsqu'on n'écrit plus « à chaud », et lorsqu'on a déjà abordé le sujet une centaine de fois avec son entourage, on n'a pas envie de recommencer. La mort seule ne nous a pas rendu visite, cependant : une nouvelle personne a fait son entrée dans la famille, ma nièce Clémence.

J'aurais pu évoquer le temps passé à la plage avec des amis. Le meilleur moment c'est la nuit, lorsque les touristes sont partis ; ce moment où l'on peut plonger ses pieds nus dans le sable frais, y retrouver la tiédeur cachée sous la surface, le faire couler entre ses doigts puis s'asseoir, se laisser bercer par la voix profonde de la mer qui chante à l'unisson de votre cœur dont les coups sont comptés, vous le savez, vous devez absorber cet instant pour ne rien en perdre, ouvrir les yeux sur le reflet de la lune sur l'eau, vous lever, y plonger les chevilles, rester hypnotisé par le va-et-vient des vagues et le jaillissement incessant de l'écume, rester immobile et chantonner jusqu'à ce qu'un ami inquiet vous tire de votre torpeur, parce qu'une personne qui reste à regarder dans le vide comme ça, vous comprenez, ce n'est pas normal...

J'aurais pu faire allusion aux nombreuses sorties entre amis dans un bar dont nous sommes devenus des habitués et dont nous connaissons à présent le serveur.

J'aurais pu ne pas éviter le sujet de l'incendie qui ravagé plus de 2000 hectares tout près de chez mes parents, où j'ai passé l'été. C'était une impression si étrange. Le ciel était rouge, la colline d'en face brûlait, et dans cette atmosphère de fin du monde on vaquait à nos occupations habituelles en attendant de savoir si l'on devrait évacuer, tout en jetant régulièrement un coup d'œil en direction du feu. Dans la soirée, la situation a changé : on ne voyait plus seulement le feu au loin, mais on l'entendait crépiter et on sentait le bois brûler. Les flammes, poussées par le vent, se propageaient à une vitesse folle et léchaient toutes les crêtes des collines d'en face, puis descendaient leurs flancs en notre direction. L'horizon entier se consumait. Les flammes devenaient si grandes qu'elles semblaient n'être qu'à une centaine de mètres. Il a fallu se poser sérieusement la question : que doit-on sauver si l'on doit partir ? Étrangement, je n'ai pas eu peur. Je me suis aperçue que parmi les objets de la maison, peu de choses étaient vraiment importantes. Nous nous sommes demandé si l'on viendrait nous avertir quand le feu menacerait le village, auquel cas nous pouvions nous permettre de dormir un peu, ou si l'on devait garder les yeux rivés sur le feu. Mes parents ont choisi la seconde option (mon père ayant abondamment filmé et photographié, je suppose qu'il aurait emporté son appareil en cas d'évacuation) et moi la première. Quand, pour une raison inconnue, je me suis réveillée vers six heures, ma première pensée a été pour le feu. Je me suis levée pour le voir : il faisait encore nuit et le feu était toujours là, mais ne semblait pas avoir progressé vers nous. Je n'ai pas réussi à me rendormir, car, à chaque fois que je glissais dans un demi-sommeil, des flammes dansaient devant mes yeux. Quelques heures plus tard, le feu était sous contrôle. Au cours de la journée, les canadairs se sont succédé au-dessus de nos têtes, évoquant un peu la bande-son d'un film de guerre. En Occident, on a parfois le sentiment de vivre dans un monde où tout est encadré par des normes, sécurisé, aseptisé. Il serait pourtant faux de croire que notre vie est prévisible et sans danger : du jour au lendemain on peut se faire renverser par une voiture, se faire poignarder, mourir dans un incendie. Parfois un événement comme celui-ci nous réveille, on sent qu'on ne domine pas tout, que notre vie ou notre situation ne tient qu'à un fil... C'est cette fragilité qui rend l'existence si belle.

Me voici à Paris, à présent. Je ne suis toujours pas inscrite dans mes facs, car la Sorbonne n'a pas donné de réponse à mon dossier de validation. Je vais les voir presque tous les jours, sans résultat. Pour recevoir ma bourse du CROUS, je dois m'inscrire d'abord en 3ème année d'Anglais : si je valide en premier mon inscription en Turc débutant à l'INALCO, le CROUS considèrera que j'ai « régressé » et ne me donnera rien. Dans un premier temps, j'ai fait une « inscription provisoire » à l'INALCO, qui me permet de suivre les cours mais sans avoir de carte étudiante ni de couverture santé. Je me suis aussi renseignée à la Sorbonne : je peux aller en cours sans être inscrite, si les professeurs m'acceptent, car je ne suis apparemment pas la seule dans mon cas. J'ai donc un petit délai pour régler ma situation, mais ce n'est pas pratique du tout, je n'ai même pas le droit à la carte de transport étudiante de Paris... Je fais donc ma « rentrée » en auditrice libre lundi. En attendant, je fais le ménage (chose que le locataire précédent n'a pas faite), je me promène, et j'ai reçu pendant quelques jours O** qui s'ennuyait en Belgique. Je n'ai que quelques marches à monter pour aller à Montmartre et j'y vais de temps en temps, car j'aime beaucoup ces rues (et en plus ça me muscle les jambes), même si je me fais aborder par les gens qui vendent des trucs et des machins pour touristes. En général, quand ils se rendent comptent que je suis Française, ils me proposent une réduction. O** et moi avons même eu des « guru-guru » gratuits (c'est comme des bracelets brésiliens, mais c'est Africain) après avoir longtemps protesté contre plusieurs Guinéens qui voulaient nous les vendre et qui nous les ont finalement offerts parce que « on était mignonnes ». Une autre fois, je me suis faite intercepter par un dessinateur qui voulait faire mon portrait : « Non merci », ai-je dit. « Ah ! Tu es Française ? C'est gratuit pour les Français ! ». Mais deux minutes après, il voulait me le faire à dix euros (« ben oui, c'est presque gratuit ») et comme je n'avais franchement pas besoin d'un portrait de moi-même, je ne l'ai pas fait. Au passage, il m'a demandé mon âge, a tenté de me faire croire qu'il avait vingt-et-un ans (il en paraissait entre vingt-cinq et trente) et de savoir si j'avais un copain (« Tu pourras offrir ce portrait à ton copain... Quoi, tu n'as pas de copain peut-être ? »).

À Montmartre, on croise aussi beaucoup de musiciens. C'est ainsi qu'avec O**, nous avons fait la rencontre de Storia, qui joue du hang (instrument de percussion qui ressemble à une soucoupe volante en métal et ne peut s'obtenir qu'en se rendant directement auprès des gens qui l'ont créé) et s'accompagne de sa voix magnifique. Sa musique évoque un peu celle de Loreena McKennit, et vous pouvez faire un tour sur son myspace. J'ai aussi vu hier un homme qui jouait « Hey Jude » à la contrebasse, c'était original. J'aime Montmartre...

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