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Les personnes célèbres sont souvent l'objet de toutes sortes de fantasmes. Qui n'a jamais imaginé sa rencontre avec l'une d'elles ? Par « fantasme », je n'entends pas forcément fantasme érotique, bien entendu. Il ne me viendrait jamais à l'idée, par exemple, d'imaginer une scène érotique avec un homme de l'âge de Keith Richards (et assez abîmé qui plus est, mais j'ai mis une photo gentille, ça me ferait mal au cœur sinon). Pourtant, il m'arrive de glisser sans m'en rendre compte de la réalité vers un monde imaginaire, dans lequel je sympathiserais avec cette légende du rock. Il serait pour moi une sorte de vieux copain, à mi-chemin entre un ami et un grand-père. Ce serait une de ces amitiés qui traverse les générations, dans lesquelles le « vieux » a une longue expérience à faire partager et serait de bon conseil mais jamais psychorigide, car il en fait de belles lui-même autrefois et, d'ailleurs, est toujours un peu jeune dans sa tête. Un vieux avec qui on pourrait boire un verre et faire la fête. Ce serait mon papi rock'n'roll (j'ai justement une place de grand-père vacante depuis quelques temps, tiens).

Bien sûr, c'est idiot. Parfois, je l'avoue, j'ai un peu honte de ces enfantillages. Je suis bien consciente que les personnalités publiques telles qu'on se les représente sont des images, des chimères, des personnages de fiction, et non les individus réels que les gens de leur entourage voient au quotidien. Je suis bien consciente que ces gens, des gens comme les autres, ne valent pas forcément mieux que nos proches, souvent anonymes mais dotés eux aussi d'une identité intéressante. Je suis bien consciente que même si je rencontrais Keith Richards (ce qui a certes peu de chances d'arriver), je ne saurais sans doute pas quoi lui dire, et lui non plus, et il ne se passerait rien. Ou bien je l'apercevrais sans lui adresser la parole. Ou pire encore, je ne l'apprécierais pas.

Cela me rappelle Allons réveiller le soleil, de José Mauro de Vasconcelos. Le narrateur, enfant, est passionné de cinéma et s'est construit un arbre généalogique composé de ses acteurs préférés. Johnny Weissmuller (qui a joué Tarzan) est ainsi l'un de ses oncles. Maurice Chevalier, son père de cœur, vient lui rendre visite tous les soirs et l'appelle « Monptit ». Lorsque le narrateur devient adulte, Maurice lui dit adieu (la différence entre José et moi, c'est que moi je suis censée être déjà adulte...). Des années plus tard, le narrateur parvient à aborder Maurice Chevalier après un concert. Il lui serre la main en lui disant : « Bonsoir, Monsieur Chevalier ». Bien entendu, « Monsieur Chevalier » ne le reconnaît pas. Et comment le pourrait-il ? Le Maurice de ce soir-là n'avait rien de commun avec celui qui rendait visite au petit José et lui donnait de petits noms.

S'imaginer des amitiés (ou plus encore) avec de lointaines célébrités, c'est comme s'imaginer dans un pays, une époque, une position sociale qui n'est pas la sienne, c'est comme se transporter dans l'action d'un livre ou d'un film. Lorsque j'avais dix ans, « j'attendais » bien ma lettre de Poudlard (sans y croire réellement, hein, il y a des limites). Je me suis déjà imaginée ethnologue dans de lointaines contrées, musicienne, écrivain, poète, journaliste, comédienne, résistante sous l'occupation (banal) ; j'ai inventé de nombreux personnages dans des mondes plus ou moins réalistes, présents, passés, futurs, des rois, des pauvres, des sorciers, des voyants, des djinns, des esprits, des tribus qui se déplacent dans des effigies géantes de leur animal totem, des orphelins, des voleurs, des Valkyries, des dieux grecs, des démons, des avatars d'Ulysse (j'ai une certaine affection pour l'histoire du retour d'Ulysse : quelqu'un que tout le monde connaît mais que personne ne reconnaît, que certains attendent et d'autres n'attendent plus, qui revient incognito, et soudain, coup de théâtre ! « C'est lui ». Classe, non ?). Je n'ai presque rien écrit de toutes ces choses et les ai souvent laissées disparaître au fin fond des brumes de mon esprit. J'ai déjà imaginé que je rencontrais Renan Luce dans une crêperie en Bretagne ou Johnny Depp de passage à Montpellier (puisque, paraît-il, il a une résidence dans la région, à Saint-Gély-du-Fesc). Oui, c'est un peu ridicule ; parfois, je l'avoue, j'ai un peu honte de ces enfantillages.

Mais enfin, si l'on évite de vivre uniquement dans ces chimères, si l'on est plus terre-à-terre lorsque la situation l'exige vraiment, si l'on évite la fin de Mme Bovary (paix à son âme), pourquoi ne pas conserver ces ouvertures vers des horizons multiples, des perspectives folles et infinies dont certaines pourront peut-être même se réaliser ? Je ne parle pas du fait de rencontrer des djinns, mais il m'arrive aussi d'avoir des rêves plus réalistes : partir à l'étranger, participer à des projets intéressants, rencontrer des gens, parler des langues. Nos rêves semblent parfois stupides, mais entretiennent en nous une soif de vivre qui nous pousse en avant.

Parfois, je l'avoue, j'ai un peu honte de ces enfantillages. Mais pas très longtemps.

 

[C'est amusant : j'ai commencé cet article en pensant à Keith Richards, mais ma pensée a pris un chemin un peu différent (décidément, mes divagations ont leur volonté propre) et seul le premier paragraphe lui est vraiment consacré.]