Jeudi 19 août 2010 à 15:39

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Et les pères enterrent leurs fils
Et les mères enterrent leurs filles
Tous ces morts dans une même famille
La folle faucheuse fait son caprice

Le fils las d'la vie, de son fiel
Les jeunes meurent avant les vieux
Les vieux lèvent les yeux au ciel
Les vieux ont le sel aux yeux

Et les pères enterrent leurs fils
Et les mères enterrent leurs filles
Tous ces morts dans une même famille
La folle faucheuse fait son caprice

Au chagrin de cette famille-là
S'ajoute le sang de Ludmilla
C'est cette nouvelle mort amère
Que célèbrent le père, la mère

Et les pères enterrent leurs fils
Et les mères enterrent leurs filles
Tous ces morts dans une même famille
La folle faucheuse fait son caprice

Ainsi la mort nous guette à chaque instant
Fauchés en plein vol, figés dans le temps
Ces deux enfants ne seront jamais vieux
Et laissent leurs vieux le sel aux yeux

La mort ne frappe pas toujours où on l'attend
Le père et la mère croyaient partir en premier
Ne vous figurez pas que vous avez le temps
Et vivez ce jour comme si c'était le dernier
 




(J'ai l'impression que tout le monde meurt en ce moment...)
Image : trouvée sur un blog, visiblement décalquée sur l'illustration par Sandra Smith du poème Demain, dès l'aube dans le recueil Les plus belles poésies de la langue française.

Mardi 27 juillet 2010 à 16:05

Au détour d'un jour, on apprend la mort d'une personne perdue de vue. On s'étonne de l'avoir connue en vie, elle si morte à présent. On se recueille un instant. Mais quelles sont vos pensées lorsque vous apprenez la disparition de quelqu'un qui vous a fait du mal ? Lui pardonnez-vous ? Estimez-vous qu'il l'a bien mérité ?

Ni l'un ni l'autre. Je l'avais presque oublié. Je n'ai jamais souhaité sa mort mais ne le pleurerai pas. Ni doléance, ni pardon : il était trop quelconque pour ne pas me laisser de marbre. Son nom et son apparence étaient bien ordinaires, son attitude très courante – un peu bête et méchante, comme celle de nombreux adolescents – et sa personnalité visiblement sans éclat – mais on peut se tromper –. C'est lui faire un bel hommage qu'écrire un tout petit mot sur sa mort et lui rendre justice : il avait finalement quelque chose de remarquable, sa banalité peu commune.

Mercredi 2 juin 2010 à 14:09

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[Les vies humaines] sont composées comme une partition musicale. L'homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l'évènement fortuit (une musique de Beethoven, une mort dans une gare) en un motif qui va ensuite s'inscrire dans la partition de sa vie. Il y reviendra, le répètera, le modifiera, le développera comme fait le compositeur avec le thème de sa sonate. Anna [Karénine] aurait pu mettre fin à ses jours de tout autre manière. Mais le motif de la gare et de la mort, ce motif inoubliable associé à la naissance de l'amour, l'attirait à l'instant du désespoir par sa sombre beauté. L'homme, à son insu, compose sa vie d'après les lois de la beauté jusque dans les instants du plus profond désespoir.

 

Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être

Mercredi 19 mai 2010 à 17:48

La vie coule encore. Non d'un flot continu, linéaire et canalisable ; ruisseaux et torrents défilent, s'ajoutent et se séparent au gré des rêves et des pensées, des évènements et surprises, des émotions et sensations qui s'entrecroisent. Des affluents et ramifications apparaissent puis s'évanouissent, donnant naissance, sans répit et jusqu'à la fin, à la respiration profonde de cette croisière sans retour au fil de cette toile aquatique mouvante et fuyante. Lorsqu'on jette un œil en arrière, en tâchant de résumer pour soi ou pour les autres ce qui nous est arrivé, ce que l'on a éprouvé dans un passé proche ou lointain, l'esprit est flou – d'autant plus flou que l'on regarde loin en arrière, où les fils arachnéens du souvenir s'entremêlent en une masse sombre et confuse – . Quelque chose vous reste cependant, certaines secousses de votre modeste embarcation s'imprimant durablement en vous, et vous êtes capable d'évoquer des bribes de votre voyage. Revenons sur les étapes les plus récentes.

Un enfermement qui se voulait studieux. Activité inactive, virtuellement épuisante bien qu'inefficace. Cervelle imperméable, pensées fuyantes. Fuir pour de bon, fuir physiquement aurait peut-être mieux valu. Péripéties ferroviaires. Rencontre agréable sans conséquences : quelques heures d'attentes sur un quai permettent de nouer des liens inattendus. L'enfermement reprend ; la musique, comme toujours, est une bouée de secours. Plus le temps passe, plus je sais qu'il n'y a aucun espoir.

Une longue semaine qui me prouve mon incompétence. État second. La révolte de ma cervelle s'intensifie. J'ai honte de ce que j'écris sous la torture. Entre de longs calvaires de six heures, je goûte pourtant d'agréables moments de distraction et d'exploration. Un an et demi après m'y être installée, je découvre un peu mieux la ville...

Vie, vent, rue, places. Couleurs et babillages. Marché. Pluie et soleil. Verdure et canaux. Caresses imprévues mais sans effet.

Fin de la longue semaine : légèreté soudain ! Départ provisoire vers d'autres cieux plus nordiques. Retrouvailles et promenades belges. Nouvelles rencontres ; chaleur et générosité. Des trains à la deuxième classe bondée, obligeant les passagers à camper dans le couloir et sur les marches alors que les compartiments de première classe (identiques aux autres !) sont presque vides. Cette nuit entière passée à trinquer, les yeux dans les yeux ! Une longue nuit, car le jour nous surprend à la sortie du bar. Retraite vers la tanière d'un nouvel ami local, où nous avions commencé la soirée. Insomnie pour ma part, tandis que mes compagnons sombrent avec une facilité que j'envie toujours. « Petit déjeuner » à quatorze heures : fricassée liégeoise. Promenade. Retour chez l'autre amie, la « vieille » amie : déjà la fin du week-end.

Une deuxième semaine de répit m'autorise à embrayer sur le village de mon enfance, qui est toujours le seul point de chute stable de l'étudiante SDF que je suis. Le soir de mon retour, la garrigue est calme et vivante à la fois, vibrant de l'orchestre nocturne des grillons, du chœur des grenouilles et de la voix solitaire d'une chouette. Qui devinerait qu'à quelques kilomètres de ce cadre serein, un membre de ma famille est en train d'expirer ?

Un coup de téléphone suivi d'une veillée morbide. Qu'allais-je découvrir ? Un cadavre aux yeux révulsés, au teint pâle ou violet, les traits déformés par la douleur ? Rien de tout cela : quelqu'un avait fermé ses yeux et sa bouche, ramené la couverture jusqu'à son cou, et il aurait semblé dormir si une respiration avait soulevé ces couvertures. Son teint était pâle mais cela ne le changeait pas beaucoup. Je ne savais pas très bien s'il fallait être triste ou soulagée pour lui : il en avait fini. Il donnera son nom à « une réalisation de la commune », a dit le maire qui, dans son discours, a redonné une vie posthume à un homme qui n'était plus que l'ombre de lui-même depuis quelques temps. À l'instant où le cercueil descend dans la tombe, la veuve manque de défaillir. Elle sans lui, comment est-ce possible ? Mais nous n'avons pas le choix : il faut dire adieu à mon grand-père, car déjà, la force du courant éloigne la barque du tombeau fleuri.




Caminante, son tus huellas
el camino, y nada mas ;
caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace camino,
y al volver la vista atras
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante, no hay camino,
sino estelas en la mar.

Antonio Machado

Dimanche 11 avril 2010 à 22:08

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Je suis allée voir hier soir le film de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global. Comme on pouvait s'y attendre en voyant la bande-annonce sur Internet, le film a un petit côté bobo dont je sais qu'il en agacerait plus d'un, mais assez sympathique.

Il y a certaines choses auxquelles je n'ai pas adhéré. D'abord ce côté un peu mystique, un certain regard porté sur la terre nourricière ; et ensuite, mais c'est lié au premier point, une opposition systématique entre d'une part une agriculture masculine, machiste, une agriculture du « produire toujours plus » à grands renforts de pesticides et d'engrais chimiques, une agriculture qui « viole » notre mère la terre, et d'autre part une agriculture féminine, respectueuse de la vie. Pour moi, l'écologie n'a rien à voir avec la spiritualité, et de plus, ma vision assez égalitariste des sexes me laisse assez sceptique face à ces fantasmes sexués. On dénonce en passant les meurtres de petites filles en Inde : c'est une bonne chose de les dénoncer, mais je n'ai pas très bien saisi le rapport. Apparemment, la vision du monde exprimée ici est censée être une forme de féminisme...

Il n'y a pas que cela dans le film, néanmoins : je pense avoir appris des choses, et certains éléments me semblent assez convaincants. L'instauration des pratiques agricoles modernes aurait moins répondu aux besoins des paysans que créé ces besoins : on leur a expliqué qu'il leur fallait des machines, des engrais, des pesticides pour produire le plus possible. L'utilisation de pesticides stérilise le sol en dévastant la vie qui y grouille habituellement (insectes, vers de terre et autres, qui produisent de l'engrais naturel et aèrent l'humus en creusant des galeries), de sorte que les terres ayant subi ce traitement ne peuvent plus rien produire sans l'aide des engrais, qu'ils doivent donc racheter. De nombreuses terres cultivées seraient ainsi des « déserts virtuels », ne continuant à produire que par la force de ces substances ajoutées qui polluent les nappes phréatiques et mettent en danger les consommateurs (elles seraient même à l'origine de certaines malformations, mais il est étrangement impossible d'obtenir des crédits pour lancer la recherche là-dessus). D'ailleurs, puisque tout le monde est équipé pour la production intensive, abandonner ces techniques signifie renoncer à la compétitivité qui fait la loi. Tout cela permet à l'industrie (dont la multinationale Monsanto) de s'enrichir, avec l'aide des autorités qui subventionnent ces achats et renflouent les paysans qui (claquant une partie de leurs revenus dans ces équipements et produits) seraient ruinés ou du moins vivraient mal sans ces subventions. « La révolution verte était verte par couleur du dollar », affirme un intervenant du film dont j'ai oublié le nom. La question du catalogue de semences (dont j'avais déjà entendu parler) est aussi évoquée : il est interdit de cultiver d'autres variétés que celles qui y sont répertoriées,et qui ne durent souvent qu'un an (et doivent donc être rachetées à chaque fois à Monsanto). Ce n'est pas une question de sécurité : vous risquez des sanctions même si vos cultures sont tout à fait saines.

Le film propose d'autres modes de culture, moins productifs mais respectueux de l'environnement et conservant un sol fertile (que l'on reconnaît à sa consistance « comme du couscous », alors que le sol stérile est dur comme du béton, empêchant les racines de pénétrer profondément dans le sol). On nous suggère d'autres manières de consommer : acheter directement au producteur (puisque l'agriculture bio est moins rentable, moins d'intermédiaires = plus d'argent pour le cultivateur, ce qui compense une production plus faible)... Facile à dire et difficile à trouver (surtout en ville). On nous donne aussi des recettes d'engrais « maison ».

Bien que répertorié comme « documentaire », Solutions locales ne se prétend pas tel, mais s'assume comme ce qu'il est, c'est-à-dire un message politique orienté (on ne peut donc lui reprocher son manque d'objectivité). La forme semble un peu bricolée, le montage un peu maladroit, les sous-titres assez aléatoires (ils sont parfois remplacés par une voix-off) mais le contenu est intéressant. Je n'ai pas rendu compte de tout, loin de là : la lecture de cet article ne remplace donc pas le film. Et quand on sort, on a bien envie de « cultiver son jardin » (plus efficace que Candide !). Influençable ?

Je suis quand même curieuse de connaître les contre-arguments qu'on peut opposer à ce message, mais je suppose que la plupart des spectateurs, qui ont payé la place, étaient déjà plus ou moins gagnés la cause défendue. Même sur le site du Figaro, je n'ai pas trouvé de critique négative !



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