Samedi 27 février 2010 à 21:12

Le vent joufflu siffle et souffle et gifle les passants. Il nous rend flous, ce vent des fous, des fêlés, qui déferle, qui défoule, qui dessaoule, qui défile aux fenêtres des foules qui s'enferment.

 

Une tempête venue d'Espagne souffle sur toute la France ce soir. J'étais dehors tout à l'heure : quelques bourrasques, déjà. Des objets abandonnés traversaient la rue. Les arbres du square Charles de Gaulle s'éveillaient en agitant leurs branches. Soudain, j'ai trouvé magnifique ce début de vent et cette atmosphère particulière qui précède une menace ou un événement. J'ai voulu qu'il souffle davantage, qu'il s'engouffre dans mes cheveux, dans mes vêtements, quelques mots se sont imposés à moi, et j'aurais voulu rester dehors sous la tempête, mais comme j'étais un peu désœuvrée, je suis rentrée en me répétant les mots. Puis j'ai écrit une sorte de haïku qui n'en est pas un mais qui possède une longueur comparable.

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Mardi 23 février 2010 à 20:41

Lorsque j'essaie de me forcer à travailler, je ne peux pas me concentrer. Tout en moi se révolte contre ce travail, j'ai beau faire, je ne peux y enchaîner ma pensée. Je peux rester des heures, je peux rester une journée entière à essayer, mais sans rien faire. Mes pensées s'évadent sans relâche, insaisissables, impossibles à fixer sur la feuille. Sans écrire une ligne. Je ne veux pas, je ne veux pas, je ne veux pas. Comme un cheval qui tire au renard. Il y a de ces nœuds qui, lorsqu'on tire, se resserrent davantage : je suis prisonnière d'un de ceux-là. Plus je rechigne au travail, plus je risque d'en subir les conséquences. Je fais des efforts, pourtant. J'essaie encore, et encore, et encore. Je me répète que puisque je suis ici, je dois jouer le jeu, ne pas accepter de terminer sur un sentiment d'échec. Il serait facile de prendre tout cela à la légère et d'affirmer à la fin que « oh, bien sûr, mes résultats ont été mauvais puisque que je ne travaillais pas... ». Sous-entendu, si je m'étais donné la peine, vous auriez vu. Ce serait même trop facile... Il faut prendre le risque de tenter et donc d'échouer, sinon on ne fait jamais rien dans la vie (décidément, ces temps-ci, je fais de la philo de canapé). Mais d'un autre côté, je n'y crois pas, de une, et de deux je m'en fous un peu de ce concours. Si je me fais violence, c'est plutôt un défi personnel, une tentative de sauvetage de mon ego. Mais une lutte à mort se joue entre ce qui en moi veut le faire et ce qui en moi en a assez, plus qu'assez. Cette partie-là est la plus forte, elle se révolte, ne se plie pas à mes ordres. Je passe plus de temps à me battre contre moi-même qu'à travailler. Je fournis aussi peu de travail que si, en effet, j'avais décidé de ne faire aucun effort, sauf qu'en réalité j'en fais. Gâcher de précieuses heures à ne rien faire, c'est rageant : tant qu'à ne pas travailler, j'aurais aussi bien pu m'amuser. Lorsque je pense au temps où la prépa me plaisait, cela me semble si loin. L'état d'esprit que j'ai mentionné hier s'est souvent révélé un remède efficace : combien de fois ai-je réussi à me remonter le moral toute seule, combien de fois ai-je rappelé tout mon courage, tout mon optimisme ! Joue donc, mon orchestre, la vie est belle avec ou sans prépa ! Mais avec le temps, mes défenses se fissurent. Lorsque mon orchestre joue pour moi, en ce moment, il ne joue pas toujours aussi fort qu'avant, et j'ai l'impression d'être un peu autiste. Je suis enfermée dans une bulle de travail, auto-flagellation psychologique, tentatives d'euphorie artificielle qui compenseraient ce calvaire. La musique et ma folie m'ont souvent aidée, mais connaissent leurs limites. Et personne ne peut m'aider. Je ne travaille pas vraiment, pas comme il faudrait, et pourtant je suis fatiguée. Quoi que je fasse, rien ne change. Au premier concours blanc de géo, je n'ai pas su répondre au sujet et j'ai presque rendu copie blanche, ou plutôt j'ai rédigé une copie double symbolique avec deux ou trois banalités : j'ai eu quatre, bien payé pour ce que c'est. Au deuxième concours blanc, je suis restée la totalité du temps imparti et j'ai rendu un vrai devoir, du moins je le croyais. Aujourd'hui, recevant un mail du prof de philo nous informant qu'il a mis en ligne nos résultats, j'en profite pour regarder aussi la note de géo. 5. À ce compte-là, j'aurais pu faire comme la dernière fois. À quoi ça sert que je fasse des efforts ? À rien. À rien. À rien. Je suis tellement nulle, j'ai souvent envie de laisser tomber puisque ce que je fais est complètement inutile, mais comme je suis maso, je continue. Heureusement, venir déverser ma bile ici, ça me soulage. C'est déjà ça.

Lundi 22 février 2010 à 22:31

On ne choisit pas : il y a des moments pénibles. On ne peut négocier en venant au monde pour ne garder que le plaisir, c'est un lot, un panier garni. On doit tout prendre ; peu importe, ça vaut le coup. Pas de discours désabusés sur la vie cruelle, la vie absurde : c'est notre vie, il n'y en a pas d'autre. Jouissons-en tant que nous le pouvons, essuyons calmement les tempêtes ; avec le sourire, s'il vous plaît. Oui, ça fait mal parfois, et alors ? Ça fait partie du jeu. Ça prouve que nous sommes vivants. Il ne s'agit pas de vouloir effacer, nier ces moments difficiles, ni de les considérer à part, en se disant que le bonheur était avant ou sera après. Le bonheur n'est pas un état qu'il faut atteindre pour n'en plus bouger, c'est une manière d'être chaque jour, avec ou sans douleur. Que l'allégresse soit plus forte que vos brûlures quotidiennes. C'est comme danser sur les braises, comme chanter lorsqu'on va au front. C'est un pied de nez aux coups de fouet du hasard, c'est être invincible. Jetez votre joie à la face de vos ennuis, dansez sur les cadavres de vos soucis, laissez-vous enivrer par le rythme sauvage des battements de votre cœur. Peu importe ce qui se trouve sous vos pas, nul éclat de verre ne peut ralentir la cadence de vos pieds meurtris. C'est un chant, c'est un grand rire intérieur qui vous secoue tout entier et qui surpasse le cri d'angoisse qui est aussi en vous.

 

J'ai convoqué si souvent le Rire ces derniers temps qu'il se transforme parfois en rictus, mais qu'aurais-je fait sans lui.

Samedi 26 décembre 2009 à 14:29

« On a connu vos noms... Mais on vous a rarement vues ».

Le grand livre de ta mémoire ne s'écrit plus. Ses pages tombent en poussière ; les mots qu'elles portent s'effacent un à un. Le fleuve de l'oubli, gonflé de tes ans, arrache jusqu'aux noms qui te sont chers. Qui étaient. Depuis que l'encre du passé a commencé à disparaître, j'ai imaginé cent fois le jour où je serais une étrangère pour toi. J'imaginais la blessure. Je m'y suis tant préparée qu'elle n'a pas été aussi vive qu'on aurait pu le craindre. D'ailleurs, cela n'a pas été brusque. Au début, nos visages t'étaient familiers, même si nos noms t'échappaient parfois.

Aujourd'hui, nous avons dû te répéter plusieurs fois qui nous étions. Tu acquiesçais de la tête, comme si la généalogie te revenait en mémoire, et oui, bien sûr, nous avions un air de famille.

« On a connu vos noms... Mais on vous a rarement vues ».

Oui, rarement. Soudain, en quelques mots, la réalité disparaît. Rien de tout cela n'a existé, ces images ne sont que rêve peut-être, ou réminiscences d'une vie antérieure, ou existence d'une autre famille, ou inventions d'un esprit embrumé. Dans ton univers, rien n'a existé. Ni les repas de Noël et d'anniversaire, ni les enfants qui jouaient dans le salon, ni les mercredis passés avec toi, avec vous, ni les quelques plaisanteries que tu répétais sans cesse. Tu n'as jamais voulu nous faire croire que tu savais couper et recoller un morceau de ton doigt. Nous n'avons jamais pris soin du jardin ensemble. Je n'ai jamais arrosé les plantes n'importe comment, dirigeant le jet d'eau à droite à gauche, même sur ton crâne chauve. Tu m'aurais dit que cela ne ferait pas repousser tes cheveux, et cela m'aurait fait rire, mais tout cela n'a jamais eu lieu. Le mercredi midi, vous m'auriez acheté des Babybel. J'aurais ouvert un peu mes partitions de solfège avant de courir à la petite école de musique que vous appeliez toujours « le cours complémentaire » en souvenir de son ancienne fonction, en souvenir d'un temps que je n'ai jamais connu. J'aurais joué des heures durant avec un téléphone en plastique et quelques peluches. J'aurais regardé les dessins animés. Tu nous aurais proposé la camelote que les catalogues t'envoyaient en cadeau. Tu nous aurais longuement enregistrées sur ton dictaphone, en train de parler, de chanter. Tu aurais accroché des photos de nous au mur. Tu aurais fait nos portraits à la peinture à l'huile.

Tout cela soudain s'efface, disparaît, s'évanouit comme un mirage. Ces années ont fui vers le néant. Qui sommes-nous à présent ? Sommes-nous de ta famille ? Existons-nous encore lorsque nous ne sommes pas devant tes yeux ? Nos noms signifient-ils quelque chose pour toi ? Il semble bien, oui, qu'ils t'évoquent confusément quelque chose : on a connu vos noms. Mais ces noms ne te concernent plus, ils sont ceux d'étrangères qui sont de ton sang, peut-être, mais que tu n'as pas eu l'occasion de connaître.

« On a connu vos noms... Mais on vous a rarement vues ».

Un large pan de nos vies est nié, rayé, effacé, englouti dans l'abyme béant de tes yeux, ce précipice vertigineux qui nous aspirera sans doute à notre tour, ce prépice qui exhale un souffle glacé, le souffle du néant, le souffle de la mort qui te guette, le souffle de l'oubli. Ce gouffre ne connaît pas de visage, identité, réalité. Il n'est pas une porte vers un ailleurs. Ce gouffre n'est que néant, et peu à peu tu deviens ce gouffre. La mort déjà dans un corps encore en vie.

Mardi 3 novembre 2009 à 23:05

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Samedi soir, petite soirée entre amis dans l'appartement de J. Elle a choisi de nous montrer Chambre 1408, un film de Mikaël Hafstrom.

Mike Enslin, auteur de romans d'épouvante, puise son inspiration dans divers lieux réputés maudits : maisons dites hantées, cimetières... Il ne croit cependant pas aux phénomènes paranormaux. Il reçoit un jour une carte postale du Dolphin Hotel ; au dos, il est écrit : « N'entrez pas dans la 1408 » (au passage, il remarque que 1+4+0+8=13 ! Très fin, n'est-ce pas ?). Immédiatement, cela va de soi, il envisage de réserver cette chambre, même si cela signifie retourner à New York où se trouve son ancienne compagne, qu'il a quittée après la mort de leur fille. La réponse de l'hôtel au téléphone est bien étrange : avant même de connaître la date de la réservation, ils affirment que la chambre 1408 n'est pas disponible. Ni tel jour, ni le suivant, ni un mois plus tard, ni un an... Après s'être assuré que la loi lui permettait de poursuivre l'hôtel en justice si on refusait de lui louer cette chambre, Mike Enslin s'y rend donc en personne, exigeant la 1408. Devant son insistance, le gérant de l'hôtel invite Mike dans son bureau et lui révèle que suite à de nombreuses morts inexpliquées dans cette chambre, dont certaines morts naturelles (!), cette chambre (ainsi que l'étage tout entier) n'était plus louée. Personne n'a tenu plus d'une heure dans cette chambre. Il le supplie, photos des cadavres à l'appui, de renoncer à son projet. Mike, ébranlé, décide pourtant de faire ce qu'il avait prévu. C'est le début d'une heure interminable, un compte à rebours durant lequel Mike vivra un vrai calvaire.

Une histoire de chambre maudite, c'est assez commun. Pendant une partie du film, je trouvais que cela ressemblait plus à une succession d'évènements délirants qu'à un vrai scénario. Et pourtant... Il y a de bonnes idées vers la fin, de réelles surprises. Le dénouement est assez classe. De plus, j'ai bien aimé John Cusack dans le rôle principal. Tout cela m'a permis de terminer sur une bonne impression. Cependant, cela n'efface pas le sentiment de certains manques dans l'intrigue. On évoque vaguement le passé de Mike Enslin, en nous donnant l'impression qu'il comporte des éléments importants, et finalement nous n'en savons jamais plus. Nous ne savons pas non plus comment la chambre 1408 est devenue maudite : d'habitude, il y a une histoire de fantôme ou de sortilège derrière ces histoires... ce qui n'est guère original, je vous l'accorde, mais on pouvait aussi trouver une meilleure explication. Je ne peux m'empêcher d'être curieuse. Mais au fond, ce n'était peut-être pas si important : l'intérêt du film est dans ce que vit le personnage principal, dont on se demande parfois s'il n'est pas tout simplement fou.

 

Je vais devoir y retourner... Pas dans la chambre 1408, mais en cours. Il y a un an, j'étais ravie. Maintenant, c'est un peu différent. Mais, bah, ce n'est que l'affaire de quelque mois. Et puis c'était tout à fait supportable pour l'instant. Je vais juste devoir faire abstraction de la nuit qui tombe si tôt...



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