Samedi 3 février 2007 à 22:18

Il y en a qui ont la musique dans la peau. C'est inné ; c'est un talent, une vocation, une passion, une raison de vivre. C'est une oreille, une sensibilité, une agilité. Mettez-leur un instrument dans les mains, ils en tireront toujours une mélodie. Chantez-leur un air, ils le reproduiront. J'ai connu une personne de ce genre.
Et il y en a qui n'ont pas le don, mais qui aiment bien tout de même. Qui apprennent, et qui obtiennent quelques résultats. Qui finissent par apprivoiser leur instrument comme on apprivoise un jeune chat. Ils chuchotent des mots doux à l'oreille de leur flûte ; leur guitare ronronne sous leurs caresses. Ils connaissent quelques airs sur le bout des doigts, les exécutent spontanément pour leur entourage ou pour eux-mêmes.
J'ai suivi sept ans de leçons de guitare sèche. Au bout de sept ans, je jouais de façon satisfaisante... les morceaux que j'avais travaillés. Aucune spontanéité toutefois, aucune facilité à jouer en public, assez peu d'oreille de ma part (en solfège, mon niveau en dictée de notes était risible ; je n'ai jamais compris comment j'obtenais mon examen chaque année). En sept ans, je n'ai jamais réellement apprivoisé ma diva de bois verni. J'ai pourtant passé quelques bons moments en sa compagnie, j'ai apprécié sa voix et le contact de ses cordes sous mes doigts. Chaque année, l'école de musique organisait un examen pour imiter les conservatoires. Il y a deux ans, on m'a félicitée et l'on m'a déclaré, sur le ton de la plaisanterie, que je serais bientôt une nouvelle Ida Presti.
J'étais donc capable de jouer. Capable de progresser. Mais elle restait, encore, une étrangère. Je n'avais (et je n'ai toujours) aucun don ; j'avais simplement bénéficié d'un certain nombre de leçons. Elle refusait de s'ouvrir à moi. L'an dernier, elle se fit plus distante encore : je perdis quelque peu ma motivation. Désespérée, je choisis pourtant de continuer. Ma huitième année a débuté, mais je n'ai guère touché à mon instrument. Je n'ai plus le temps. Je retrouve mon professeur une demi-heure par semaine pour qu'il constate l'évolution de mon absence de travail. Je régresse, je perds tout ce que j'ai acquis. Il semble parfois que je touche à une guitare pour la première fois... Le fruit de sept ans de travail s'évanouit. Je ne pourrai jamais continuer. Ça ne servirait à rien. Pas le temps, pas la capacité, aucune habileté. Recommencerai-je après mes études ? Dans quelques années. Reprendre tout à zéro... à zéro... à zéro... Je suis nulle. Je n'y peux rien. Je m'en veux.  La musique ne coule pas dans mes veines, certes. Mais pourquoi me refuser un plaisir d'amatrice ? Belle rousse, pourquoi repousses-tu mes avances ? Tête lourde, doigts gourds, une main d'acier sur mes entrailles, une boule de pétanque dans mon gosier, de la brume dans mes yeux. Faut-il être stupide pour pleurer sur un instrument.



Jeudi 4 janvier 2007 à 23:29

  Les yeux las, le vieillard retira ses lunettes. Il effleura pensivement sa canne des doigts.
  « Mon Dieu, murmura-t-il, un pointe de mélancolie dans la voix. Mon Dieu, que puis-je donc faire ? »
  D'une main tremblante, il réajusta les roses fraîches déposées une heure plus tôt dans le vase de céramique bleue, sur le bureau. Ces roses... Si belles, si éphémères, telles une vie humaine. Des images, des souvenirs s'imposèrent aussitôt à lui : indistincts, voilés, à demi effacés par le temps... Mais au ô combien entêtant demeurait leur parfum !
  Un frisson saisit l'ancien. Il demeura quelques instants silencieux ; les seuls battements de son coeur ponctuaient le silence.
  Elise avait déposé ces fleurs ; elle avait passé le balai, s'était assurée que le vieil homme ne manquait de rien, puis s'en était allée.
  Louise avait acquis ce vase des années auparavant, lors d'un voyage au Portugal. Louise. Pourquoi s'était-elle enfuie ? Comme les autres.
  L'ancien ferma les yeux.
  « Cela ne peut durer. »
  Il souleva ses paupières brûlantes. Il assembla quelques papiers épars, y mit un peu d'ordre et les enferma dans le tiroir du petit secrétaire, avant de poser la clé à l'endroit habituel : à droite du pot à crayon, avec le coupe-papier espagnol -une reproduction miniature de l'épée du Cid Campeador, achetée dans une boutique pour touristes-.
  Le vieil homme était comme cela, minutieux, depuis toujours. Chaque chose devait être à sa place. Qu'adviendrait-il, songeait-il, s'il mourait et que l'on trouvait sa maison en désordre ? Sa hantise. Il se devait de disparaître dignement, en un lieu propre et rangé.
  Il se leva péniblement et s'en fut à la cusine. Il avait si soif ! La carafe d'eau lui parut lourde, bien lourde. Il se désaltéra du bout des lèvres et s'essuya la bouche de ses doigts gelés.
  Sa vie se déroulait sans saveur en l'absence de Louise. Il se sentait si las.
  « L'heure approche », prononça-t-il d'une voix faible.
  Silence.
  « L'heure approche », répéta-t-il.
  Pourquoi ne venait-elle donc pas ?
  Le sang du vieillard battait à ses tempes. Pris de vertiges, il partit s'allonger. Ses douleurs ne sauraient durer encore longtemps, songea-t-il...
  Il ne souffrait plus lorsque la sonnette retentit. D'une dextérité surprenante, il se leva. Tandis qu'il s'avançait souplement vers la porte d'entrée, il s'étonna des effets du sommeil miraculeusement réparateur que le visiteur venait d'interrompre.
  Il n'eut pas le temps d'ouvrir : Elise, à son habitude, s'était déjà invitée.
  « Te voilà déjà ? » s'étonna l'ancien.
  La jeune femme, distraite, ne sembla ni le voir ni l'entendre et poursuivit sa course vers la chambre du vieil homme.
  « Papa ? appela-t-elle.
  - Je suis ici » , rit-il. Sa voix possédait l'éclat d'autrefois.
  Sans l'écouter, Elise entra dans la chambre vide. Un cri étranglé lui échappa.
  Intrigué, l'ancien s'approcha. Une respiration haletante lui parvenait à présent. Sa fille pleurait...
  Il s'immobilisa sur le seuil, muet de stupéfaction. Sur le petit lit en bois d'acajou reposait le corps d'un mince vieillard. Les mains crispées sur sa poitrine, ce dernier semblait fixer Elise prostrée à son chevet. Ses cheveux d'argent auréolaient un visage marqué par le temps ; sa bouche entrouverte semblait interroger la visiteuse : « Pourquoi pleures-tu ? Sèche tes larmes, tout va très bien à présent... »
  « Elle s'en remettra », affirma une voix douce derrière l'ancien, qui se tourna vers celle qui avait parlé.
  Louise. Pas Louise telle qu'elle était à sa dernière heure, ravagée par la douleur, mais  telle qu'il l'avait rencontrée soixante ans auparavant.
  L'ancien lui tendit la main ; la main d'un jeune homme de vingt-deux ans.



Mercredi 1er novembre 2006 à 20:25



(...) À cette vue, sa raison vacilla. Un éclat de rire sonore la secoua tout entière, s'amplifiant tandis que sa douleur s'intensifiait. Elle rejeta la tête en arrière, s'abandonnant à cette folie douloureuse ; elle distingua, dans le petit miroir crasseux au-dessus de la commode, le reflet de ses yeux fous et de sa bouche crispée en un rictus sans joie. Et ce rire rauque, qui la transperçait de part en part ; ce rire dément qui ne cessait pas ! (...)

Voilà. Ces quelques lignes, extraites d'un roman ou d'un récit fictif, me sont venues hier ou avant-hier. Ne me demandez pas pourquoi.

Dimanche 15 octobre 2006 à 21:43



« Oui, je préfère être pauvre et vivre à la rue plutôt que d'accepter leur argent... Leur argent sale. Les stars, elles ne viennent plus à mes côtés, maintenant, parce que je suis plus une adolescente, et ça marche plus. Quand j'étais mineure, naïve, ça allait, mais maintenant que je suis adulte, elles ont peur ! Elles se disent, comment elle va réagir ? Alors non, elles viennent plus me voir... Quand je pense que ma fille a été harcelée, c'est que des faux-culs au gouvernement, que des faux-culs... Et les stars, jamais elles chanteront ce qu'elles ont fait à ma fille, jamais ! Elles préfèrent chanteur leurs conneries... »

Mercredi pluvieux. Assise en tailleur sur la scène du kiosque à musique, elle poursuit un étrange monologue. L'autre SDF, debout à  ses côtés, ne dit mot. Ecoute-t-il ?
À quelques mètres de là, quatre lycéens ; trois filles et le petit ami de l'une d'entre elles. Ils se sont abrités là pour dévorer leur repas de midi.

« Ils m'ont bien étudiée, à l'hôpital, et maintenant ? Ils n'ont qu'à continuer à m'étudier, dans la rue ! Leur argent, j'en ai rien à faire, je préfère être pauvre, j'oublierai pas ce qui lui est arrivé, à ma fille... C'est ça la France, c'est ça le gouvernement, Chirac c'est qu'un connard. L'autre jour j'ai fait un tour à la plage, qu'est-ce que je vois ? Ils font tourner leurs hélicoptères au-dessus de ma tête... C'est ça, allez-y, faites voler vos avions, là ! »

Mercredi pluvieux. Tous les trésors de la vagabonde sont à ses pieds : un sac et une bouteille de vin. À l'autre bout de la scène désaffectée, au-delà du groupe de lycéens, un jeune homme et une jeune gothique jouent avec leur chien.

« C'est ça, les Français... J'te dis, avec ton argent tu payes ton loyer, tu paies pas leur conneries. Les stars, les politiques... Des faux-culs. Ils ont harcelé ma fille ! Non, après ils me donnent de l'argent, mais j'en veux pas, moi, j'oublierai pas... Je préfère être pauvre, tu vois. Les stars, elles viennent plus me voir, elles ont peur. Oh ! Elles n'ont pas peur de moi, ça non ! Mais elles ont peur de ma réaction ! Il paraît que je suis impulsive, elles se disent, non, ça va pas marcher. Mais elles n'ont pas peur de moi ! Elles s'demandent juste, qu'est-ce qu'elle va dire ? »

L'homme au chien s'est dressé.
« Ta geule ! Aboie-t-il.
- Oh ! vous, vous faites bien toujours du bruit, avec votre chien... »

L'homme s'est levé. Les lycéens également... prêts à déguerpir.
« Regarde, tout le monde s'en va, parce que tu fais chier... » poursuit l'homme irrité.

Les lycéens s'en vont.

Un quart d'heure plus tard, une des jeunes filles, ayant quitté ses amis, se trouvera aux abords du kiosque : la police sera présente.

Oubliés du sort, qui êtes-vous ? Mourrez-vous ainsi ?



[Il manque quelque chose, mais quoi ?]

[Image : http://atos.ifrance.com/gallerie/Albums/Album1/Rue_pose_pluie_3_n_b.htm]

Samedi 23 septembre 2006 à 21:56

Quelle est, à votre avis, ma plus grande peur ? Non, pas les araignées (c'est pourtant une réponse que l'on entend souvent). J'aime bien les araignées (inoffensives) de chez moi. Quant à elles, les mygales venimeuses (quoique plus dangereuses) ne sont rien à côté d'Elle.

Quoi de plus terrible qu'Elle en effet ? Depuis ma plus tendre enfance, Sa pensée me hante aux moments les plus inattendus, notamment la nuit. En songeant à Elle, une angoisse sans nom m'étreint le coeur, s'immisce dans mes entrailles et noue ma gorge. Un souffle glacial se loge dans mon estomac.
Elle est impitoyable. Elle a emporté, et emportera encore, des visages familiers. Elle m'emportera un jour. Son ombre plane sur moi ; je me dissimule derrière une façade de papier mâché. Qu'y a-t-il après Elle ? Le néant, sans doute. Un jour viendra où les ténèbres se refermeront sur moi. Je sombrerai dans l'oubli... Gommée, effacée, disparue. Réduite à rien. La Terre tournera sans moi.

Impitoyable, Elle marche sur moi. Pire ! Je viens à Elle ; chaque seconde qui passe, Elle m'attire un peu plus dans ses bras. « Pas si vite ! » ai-je envie de crier « J'ai encore soif, j'ai encore faim. J'ai encore beaucoup à voir, à apprendre ». En vain. Je prends conscience de la terrible réalité : je suis, nous sommes, condamnés. Elle est souveraine et tout Lui est dû. L'univers entier Lui appartient ; Elle le rappellera à Elle un jour. Je ne peux reculer. Je ne peux La regarder en face. Détournant mes yeux tremblants, je tente de L'oublier. De nier Son existence. Ce faisant mes pas me portent en avant... encore et encore.

Un sourire narquois aux lèvres, Elle m'attend au bout du chemin.

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