Dolores est une passionnée. Dévorée par les sentiments, les idéaux, les feux qui ravagent l'être humain, elle aime à les retenir. Les fixer par de grands mots, de grandes phrases.
Sans se l'avouer, pourtant, elle regrette parfois de n'avoir pas assez souffert ; de n'avoir pas assez “vibré”. Masochisme ou rêverie ? Elle imagine souvent ce qu'elle ressentirait en telle ou telle circonstance. Elle agirait de telle manière ; enfin tel évènement déchaînerait ses souffrances. Perdue dans ses chimères (tantôt dramatiques, tantôt plus optimistes), elle est en réalité rarement blessée par le cours des choses.
Son expérience est moindre : autant de plaies dont elle ne peut se parer... Autant d'épreuves dont elle ne peut se féliciter d'avoir triomphé. La perte d'un être cher ? Elle l'a vécue, mais s'en est remise. Un amour dévastateur ? Il est vrai qu'elle a aimé, un jour. Un amour impossible... Impossible et, par conséquent, sans histoire. Libérée de ce désagrément, malgré son soulagement, elle se prit à le regretter quelque peu. Folle, trois fois folle ! Aux tréfonds de son âme, ne chérissait-elle pas son fardeau ?
D'infimes tracas, elle conserve le souvenir pour se construire. Ces délicieux tourments enfin achevés se trouvent colorés, encadrés, mis en vitrine. Ces chefs-d'oeuvre comblent à grand-peine le bagage presque vide de Dolores ; ils constituent son expérience, lui permettent d'exister.
[Image : Flamenco Dancer I, de Caroline Gold]