Le visage du professeur de Français disparut de l'écran. Dix-sept heures trente, indiquait l'ordinateur de Melyssa Lestier. La jeune fille s'étira paresseusement. Une dissertation de plus à rendre... Peu importe, cela ne pressait pas. Pourquoi ne pas se connecter sur le Paradis Français ? Elle n'avait pas parlé à sa mère depuis plusieurs jours.
Elise Lestier avait quitté ce monde deux ans auparavant dans des circonstances pour le moins tragiques. Journaliste aux Etats-Unis durant la guerre civile, une balle perdue l'avait touchée à quelques centimètres du cœur. Il s'en était fallu de peu pour que son esprit disparaisse ; toutefois, un électropsychologue américain la recueillit charitablement et sauvegarda ses données avant de les envoyer au Paradis Français.
Peu après, Melyssa et son père reçurent un e-mail d'Elise elle-même, les prévenant de sa mort et voulant les rassurer : son transfert sur le serveur du Paradis Français avait été effectué avec succès et l'on pouvait la contacter à toute heure.
Lorsque le concept du Paradis fut inventé, Melyssa en conservait quelque souvenir malgré le jeune âge qu'elle avait alors, l'émoi fut grand dans le monde entier.
« L'Homme a vaincu la Mort ! » lisait-on dans les journeaux.
Et cela était vrai. La Mort, perspective si froide, si angoissante durant des millénaires, n'avait eu qu'à s'incliner.
La Mort. Elle était si risible à présent ! Autrefois, on se tournait vers la religion. On priait fiévreusement afin de voir son âme préservée aux côtés d'un Dieu fictif.
Aujourd'hui, l'Homme était plus puissant que jamais : sa vie terrestre terminée, il parcourait les immensités de la Toile.
Melyssa se connectait au Paradis Français. Elle demandait d'ouvrir une conversation privée avec Elise Lestier.
Dans le même temps, la très ancienne firme Microsoft, qui naquit aux Etats-Unis mais fut délocalisée en Chine, eut un problème. Un problème de taille.
À l'instant où Melyssa appuyait sur la touche “entrer”, il surgit ce que l'on appelle communément un “bug” - cela arrive même aux meilleurs d'entre nous - dans l'ordinateur central de Microsoft.
Nous n'expliquerons pas ici de quoi il s'agit ; peut-être les employés de Microsoft eux-mêmes n'auraient-ils pas su vous l'expliquer.
“Aucune donnée pour Elise Lestier”, indiqua la page qui s'afficha.
Et partout dans le monde, aux quatre coins de la Toile, l'internaute, du Chinois à l'Australien en passant par Néerlandais, reçut avec effroi le même message -à ceci près que chacun le lut dans sa langue-.
“Aucune donnée”.
La Mort avait vaincu l'Homme.